Parcours d’un militant:Roger Rouanet

Parcours d’un militant:Roger Rouanet

Roger Rouanet, né en 1929 à Labastide Rouairoux dans le Tarn, a été salarié dans l’industrie textile de 1946 à 1970 puis secrétaire de l’Union Départementale CGT du Tarn de 1970 à 1982.

Pour lui un poste de permanent syndical ne devait pas s’inscrire dans la durée, il s’etait donné comme objectif une dizaine d’années à ce poste et a donc terminé sa carrière comme éboueur à Labastide-Rouairoux.

Quand on lui demande comment il est arrivé à la CGT il répond sur un ton malicieux qu’il a été syndiqué à la CGT sans le savoir. Sa mère considérait que c’était un devoir de se syndiquer et quand elle a appris qu’il allait travailler dans l’usine où elle-même travaillait elle lui a pris la carte du syndicat.

Chez Roger l’hérédité est marquée. Il a exercé le métier de tisserand comme son père, son grand-père et son arrière grand-père. Son grand-père Joseph avec le frère de son grand-père Jean avait fondé en 1860, avant que les syndicats soient autorisés, une organisation de défense qui était en même temps une société de secours mutuel.

En 1946 il trouve son premier emploi à Labastide-Rouairoux dans l’entreprise Fernand Crouzet, puis en 1951 après son service militaire il intègre l’entreprise Brenac. Cette entreprise vend ses machines en 1955 et Roger a suivi les machines à Limoges où il travaille quelques mois en tant que contremaître. Revenu à Labastide-Rouairoux il est embauché par l’entreprise Barthès en 1956. Pendant dix ans il n’exerce pas de mandat syndical.

En 1957 l’entreprise Barthès connaît des problèmes de développement de la productivité. Et Roger est élu représentant syndical, puis quelques mois plus tard en 1959 il est élu à la tête de l’organisation syndicale locale.

En mai 1960 les revendications de 12% d’augmentation de salaire et d’indemnité de panier n’étant pas satisfaites c’est le début d’une grève très importante. Comme dit Roger, à l’époque on commençait une grève et on arrêtait quand les revendications étaient satisfaites.

Nous étions au début du Gaullisme, le premier ministre Michel Debré avait déclaré que les salaires ne devaient pas être augmentés de plus de 4% et le CNPF avait aussi donné des consignes dans ce sens. Cette grève qui a marqué la population a duré six semaines et demi, des centaines de CRS occupaient la ville, des soupes populaires étaient organisées pour nourrir les grévistes et leurs familles.

L’employeur ayant négocié quelques reprises individuelles, après obtention du retrait des CRS une reprise collective a eu lieu sans que rien ne soit obtenu. Mais l’employeur traumatisé n’a plus voulu revivre un événement de ce genre. Il a déclaré qu’il n’y aurait plus de grève dans son entreprise, si bien que cette grève a porté ses fruits puisque les ouvriers ont eu satisfaction les années suivantes par la négociation.

Repéré par la Fédération CGT du textile Roger devient membre de la direction de cette Fédération qu’il représente en 1962 à la commission du 5e plan dans laquelle il est le seul représentant des salariés. Dans cette commission l’orientation prise était l’organisation du déclin des industries vieillissantes : le textile mais aussi la mine, la mégisserie… Ce rapport a été publié au Journal Officiel le 22 décembre 1964 signé du ministre des finances Giscard d’Estaing.

A cette période la ville de Labastide Rouairoux comptait 5 entreprises de plus de 200 salariés. Ces entreprises ont toutes fermées les unes après les autres sous le prétexte qu’elles étaient mal gérées ou qu’elles nécessitaient beaucoup d’investissements. Roger s’est escrimé à expliquer que la cause était autre, c’était une décision politique décidée au plus haut sommet de l’Etat mais personne ne le croyait, surtout pas les élus qui avaient confiance en De Gaulle.

C’est dans ce contexte que l’entreprise Barthès ferme en 1968, l’usine est alors occupée près de 9 mois du 3 octobre 1969 à juin 1970. Au terme de cette occupation le liquidateur judiciaire vient voir Roger et lui dit qu’après avoir discuté avec le Préfet tous les ouvriers seront reclassés sauf lui !

La colère devant cette injustice digérée, au terme d’un an de chômage, Roger était prêt à partir à Frontignan travailler dans une raffinerie, poste obtenu au prix du renoncement à ses engagements syndicaux et politiques. Mais quand il annonce son départ les camarades de la CGT lui proposent le poste de secrétaire de l’UD.

C’est donc en tant que secrétaire de l’UD qu’il suit la fermeture de l’entreprise de textile Bourguet à Labastide Rouairoux, dernière grosse entreprise de 250 salariés, fondée en 1780 dirigée par un sénateur socialiste, administrateur de la banque de France. La lutte a duré une dizaine d’années, de repreneur en repreneur elle survit difficilement. En dernier recours faute de repreneur elle est transformée en SCOP. La SCOP passe un accord de coopération de production directement avec le gouvernement algérien sans aide du gouvernement français grâce à l’aide d’Hassen Mesbahi. Syndicaliste CGT au Saut du Tarn pendant la guerre d’Algérie, Hassen Mesbahi avait rejoint l’Algérie après l’indépendance et était devenu secrétaire général de la willaya d’Alger. L’accord est basé sur l’échange : formation technique des ouvriers algériens contre achat de couvertures à la SCOP.

Durant les premiers mois de fonctionnement la société a connu des difficultés techniques et financières. La production stagne à cause du préjudiciable arrêt prolongé des machines ; la faiblesse de la trésorerie ne permet pas la modernisation de l’équipement. Par la suite pendant 3 ans la coopérative fonctionne bien mais les relations entre les deux Etats se dégradent, le marché se réduit drastiquement entrainant la fermeture de la SCOP.

Pendant l’occupation de l’usine Fernand Gautrand, ancien cadre de l’entreprise Barthès puis de la SCOP, écrit un poème, un cri de douze strophes dont ci-après deux extraits :

Déjà sur le Marché unique de l’Europe

Marqués au fer brûlant, les moutons sont tondus

Enarques, maquignons, tout un monde interlope

Nous traitant comme porcs, ils nous ont tous tondus.

Le paysan devra abandonner sa terre

L’ouvrier sans emploi se passera de pain….

Des vautours apatrides avec leur cœur de pierre

Oeuvrant en leurs palais ont scellé ton destin….

En tant que secrétaire de l’UD Roger considérait que son travail consistait à être un homme de terrain, le moins possible au bureau. Il accompagnait les conflits : pendant 10 ans l’entreprise Bourguet à Labastide Rouairoux, les mineurs de Carmaux, les délaineurs de Mazamet, les mégissiers à Graulhet, les salaisons de Lacaune, les conflits à Saint-Sulpice, à Gaillac…

De cette période Roger retient quelques faits marquants avec les mineurs, « durs au combat ».

Au moment de la fermeture de la cokerie de Carmaux fin 1981 la direction a fait importer du charbon polonais avec l’idée que la CGT accepterait ce charbon extrait par des camarades de l’Est. Mais les mineurs, avec l’appui des cheminots décident néanmoins de bloquer l’acheminement qui se faisait par voie de chemin de fer. La gare d’Albi-Madeleine étant occupée par les CRS le déversement du charbon des wagons a lieu avant Albi, à Tessonnières. Cela a provoqué une réaction en chaîne : les gares sont occupées par les CRS et les cheminots se mettent en grève pour demander la libération de leurs gares.

Lors d’un autre conflit, les mineurs de zinc de Saint Salvy de la Balme descendent à Castres avec d’énormes engins et bloquent un carrefour stratégique. Les mineurs étaient cagoulés afin de préserver leur anonymat, « c’était une scène de guerre ».

Puis Roger relate quelques anecdotes insolites.

Graulhet était la ville où la CGT avait le plus d’influence mesurée aux élections prud’homales et le moins d’adhérents. Roger y allait souvent organiser des réunions. Un jour, comme dans un film américain, une voiture le dépasse en trombe et se met en travers, une voiture se positionne derrière, il est extrait de la voiture et menacé avec un fusil. Il n’allait plus à Graulhet qu’accompagné.

A Lacaune les salaisonniers menaçaient de lui faire la peau, il ne pouvait plus s’y déplacer seul la nuit, quand il allait à des réunions il était hébergé pour la nuit par des camarades.

A Graulhet encore, dans une mégisserie occupée, les ouvriers avaient occulté les fenêtres. L’employeur, dont c’était la première occupation, ne supporte pas cette situation et a tire au fusil de chasse dans une fenêtre a hauteur d’homme. Il y aurait pu y avoir un mort. Roger va alors rencontrer l’archevêque d’Albi, devenu plus tard cardinal, qui lui dit ne pas être concerné par ce fait social mais Roger lui rappelle qu’en tant qu’autorité morale il a pour devoir il a pour devoir à ce titre de se prononcer sur ce fait. L’archevêque fait alors savoir à toutes les églises de sa province ecclésiastique qu’il fallait respecter le droit syndical.

Une autre fois l’archevêque lui demande de faire connaître la politique sociale de la CGT devant une assemblée de plus de 150 prêtres.Roger perçoit rapidement leur intérêt si bien qu’à la fin de son intervention ils se sont tous levés et l’ont applaudi longuement. Roger en a eu le souffle coupé.

A la CGT dans le Tarn, à cette période, 5 prêtres-ouvriers et 3 sœurs au travail étaient syndiqués et très actifs sur le terrain. Soeur Renée qui travaillait à l’Union Mutualiste Tarnaise lui a demandé un jour d’être son témoin pour la prononciation de ses vœux. Roger a accepté par amitié en précisant qu’il restait ce qu’il était: un militant syndical athée. Mais l’archevêque s’y est fermement opposé ; Soeur Renée a alors dit à l’archevêque: « cela se fera avec lui ou sinon cela ne se fera pas»! Et finalement Roger a été le témoin de ses vœux.

C’est une variation de « La rose et le Réséda » du poète Aragon:

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas

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